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200522 octobre 2003 — Imaginez le concert de louanges si un Colin Powell, se rendant à Téhéran, obtenait le même accord que les trois ministres européens des AE d’Allemagne, de France et du Royaume-Uni ont obtenu des iraniens. Au lieu que le même concert, après la performance européenne, évidente et impressionnante, est prudent dans son interprétation, mezzo voce et ainsi de suite. Le concert médiatique a été retenu, les télévisions itou. C’est d’ailleurs visible de la part de nombre d’Européens, dans les temps habituels et aujourd’hui plus que jamais : le contraste entre leurs exigences passionnées d’une Europe capable de s’affirmer et leur panique absolument inimaginable dès que l’Europe fait mine d’avoir quelque influence et d’obtenir quelques résultats, — ce contraste est encore plus burlesque qu’attristant.
(Avant l’accord d’hier à Téhéran, on a pu entendre, à la réunion du lundi 20 octobre du COPS (Conseil européen des questions de sécurité, dépendant du secrétariat général de l’UE), une diatribe, qualifiée par une source bienveillante de « peu ordinaire et peut-être un peu grotesque », de l’ambassadeur néerlandais contre l’initiative diplomatique des trois ministres. Pour l’intervenant, il s’agit, avec cette initiative, d’une façon de bafouer le fonctionnement que doit avoir l’UE, au niveau de la politique extérieure (et de la défense, on s’en doute), bref d’un abus d’autorité, d’une violation du droit par la force. On s’en doute (bis), le Néerlandais disait tout haut, par amabilité coutumière et sens de la hiérarchie, ce qu’un collègue américain ne peut faire que penser tout bas (il n’y a pas encore de représentant américain au COPS — mais-cela-ne-saurait-tarder, vu les exigences US actuelles — et tout officiel américain ne peut faire que ruminer tout bas sa mauvaise humeur puisqu’il faut officiellement se montrer satisfait de toute avancée vers la “dé-prolifération”). L’intervention du Néerlandais au COPS est d’autant plus savoureuse que c’est un Néerlandais prestigieux, Hans Van Den Broeck, ancien ministre des affaires étrangères, ancien Commissaire européen, actuel président de l’institut Clidendael, qui, à un séminaire de l’IRRI à Bruxelles le 23 mai dernier, étonnait son monde en affirmant que, pour être efficace, une politique européenne de sécurité, de défense et de relations extérieures, devrait être prise en main par le triumvirat des trois puissances européennes. Le “coup de Téhéran” est la première application de la diplomatie Van Den Broeck.)
Il nous faut en revenir à l’essentiel pour mesurer l’importance de l’événement. La performance européenne de Téhéran est surtout importante, outre son importance intrinsèque, par ce qu’elle dit aux Américains. Certains nous le disent, tel le Guardian de ce matin, qui dose bien son commentaire entre une satisfaction européenne (début du texte) et une réalité transatlantique (fin du texte).
(Entre ces deux parties, il y a toute la littérature sur la prolifération, le respect des engagements, les conditions pour que le succès de l’accord se concrétise, etc. Tout cela est bel et bon mais ce n’est rien à côté de l’essentiel, — ce début et cette fin que nous citons, — parce que l’essentiel est ce qui compte dans le fondement des événements. L’attitude de l’Europe et les relations transatlantiques déterminent tout le reste, y compris la prolifération, le fait que la prolifération soit un problème, le fait même qu’elle existe.)
« Iran's agreement to allow unlimited UN inspections of its nuclear facilities and to suspend its uranium enrichment programme marks a tremendous success for European diplomacy. It shows just what can be achieved when the European powers work together, rather than in opposition.
» How regrettable that such unity of purpose eluded them in the run-up to the Iraq war. This timely advance has positive implications for enhanced European cooperation in foreign policy and in other areas, like defence. It is a symbolic reassertion of the efficacy of diplomacy and dialogue over the use of force in international disputes.
(...)
» Factions within the Bush administration will be sceptical that any deal struck without direct US involvement will stick. US concerns about Iran's links to terrorism will not be affected by this agreement. Iran will doubtless remain an axis-of-evil rogue state in George Bush's florid lexicon. But Washington must not try to undermine this accord.
» To date, its polarising, aggressive pressure tactics have mostly made a difficult problem worse. Europe demonstrated yesterday that there is a different, more effective way. And it is not the American way. »
L’accord de Téhéran n’est ni un miracle, ni une “divine surprise”. Ce n’est certainement pas, en soi et du point de vue conjoncturel, la certitude d’une diplomatie européenne efficace, même si l’on peut, avec justesse, conclure que cette sorte de démarche est la bonne et qu’à suivre la méthode on parviendrait à cette diplomatie européenne efficace. Le problème est que les Européens ont bien des difficultés, dans l’état présent des choses, à développer et améliorer cette méthode. Ils sont sûrs de connaître toutes les entraves du monde et, pour commencer, chez eux-mêmes, avec les relais habituels des puissances extérieures.
On dira plutôt que l’accord de Téhéran est, d’abord, un événement de plus sur une route qui conduit à une confrontation entre l’Europe et les USA, tant il devient de plus en plus insupportable aux Américains que l’Europe puisse exister et être efficace. Le spectacle proche de l’hystérie qu’offrent actuellement certains diplomates US dans les questions de sécurité parce que l’Europe étudie une défense commune autonome illustre cette situation. L’accord de Téhéran ne va faire qu’aggraver cette humeur. Tous les arguments convenus sur les valeurs communes et le besoin de coopération transatlantique, d’une langue de bois si usée qu’elle suscite la nausée, sont balayés par la réalité de cette évolution des deux positions vers un état de confrontation (sous quelque forme qu’elle porte, mais dans le plan diplomatique et des liens formels bien entendu).
Un autre élément à suivre de cette affaire, pour l’instant sous forme d’interrogation, concerne l’importance de l’aspect tactique de la position iranienne, éventuellement jusqu’à ce qu’on ne doive plus parler de tactique mais de stratégie. En d’autres termes : les Iraniens ont-ils sciemment et délibérément joué un accord avec les Européens, de façon spécifique, pour renforcer la diplomatie européenne et, surtout, réduire la position de puissance des Américains ? (Une position exactement inverse à celle d’Israël, qui repousse toute intervention européenne dans le processus avec les Palestiniens pour éviter un tel renforcement européen.) Si d’autres pays, dans d’autres circonstances, suivent l’exemple iranien, l’évolution sera évidemment intéressante.